Intent based leadership

S’il y a régulièrement des modes managériales, peu s’affirment comme des approches opérationnelles. C’est pourtant le cas de ce que propose un ancien pacha de SNA, David Marquet, dans son concept d’« intent based leadership » qui vient de s’enrichir d’un nouveau livre : « Leadership is language ». Ou comment donner le contrôle produit de la responsabilisation puis de la motivation, puis de la performance durable. (article initialement paru dans le magazine des ingénieurs de l’armement n° 121 oct 20).

S’il y a régulièrement des modes managériales, peu s’affirment comme des approches opérationnelles. C’est pourtant le cas de ce que propose un ancien pacha de SNA, David Marquet, dans son concept d’ « intent based leadership » qui vient de s’enrichir d’un nouveau livre : « Leadership is language ». Ou comment donner le contrôle produit de la responsabilisation puis de la motivation, puis de la performance durable.

Le modèle militaire a depuis longtemps prouvé son efficacité opérationnelle. Cependant, la transposition en entreprise n’est pas aisée. Le respect de la hiérarchie, l’obéissance aux ordres, le strict encadrement de l’information en sont quelques inconvénients majeurs.

C’est pourtant à partir d’une expérience militaire que David Marquet a construit une approche de management et de leadership assez révolutionnaire.

Une carrière qui faillit se terminer en queue de poisson

Diplômé en 1981 de la Naval Academy, David Marquet choisit la sous-marinade, et en franchit les échelons, en se coulant dans le modèle « leader / suiveur » classique, l’objectif du leader étant de susciter l’engagement de ses subordonnés, et non une pensée autonome. Peu satisfait, il tenta de faire évoluer le modèle pour davantage de collégialité alors qu’il était « engineering officer », mais cela produisit des mauvais résultats et l’expérience fut arrêtée… 

Il suivit l’école des commandants durant une année en vue de prendre le commandement du SNA USS Olympia, mais fut affecté sans préavis sur l’USS Santa Fe, le sous-marin le moins bien classé de la flotte américaine !

Une fois à bord, il se trouva en exercice à donner l’ordre « en avant deux tiers » sur moteur auxiliaire, ordre qui fut répété par la chaîne hiérarchique, mais ne fut suivi d’aucun effet et pour cause : « en avant deux tiers » n’existait pas sur cette classe de SNA, différente de celle de l’Olympia.

Comprenant le danger d’un pouvoir exercé seul, il s’engagea résolument dans son approche de « leadership par l’intention ». Comme il le rapporte dans « Turn the ship around », il décida de ne plus donner d’ordre et de confier le contrôle des tâches aux personnes qui les exécutaient, en ne se réservant que les décisions de feu. L’état-major ne fut pas long à convaincre, mais il fallut du temps pour que cela passe à l’ensemble de l’équipage. Au résultat, 18 mois plus tard et de manière durable, l’USS Santa Fe devint le navire le mieux noté de l’ensemble de la flotte US, que ce soit en satisfaction des personnels, en performance opérationnelle, en taux de renouvellement de contrats pour les marins… Maintenant retiré, il se consacre à promouvoir cette approche.

Donner le contrôle

Il s’agit de déléguer le contrôle aux collaborateurs en leur partageant l’objectif général pour qu’ils puissent élaborer une décision et l’exposer sous forme d’une intention. L’officier de quart du Santa Fe disant par exemple « Commandant, j’ai l’intention de faire plonger le navire. » La question subsidiaire : « que pensez-vous que je pense quand vous me dites votre intention ? » permet à l’officier de réfléchir comme s’il était en charge d’une responsabilité de niveau supérieur, et de le verbaliser.

Cette délégation nécessite deux piliers : COMPÉTENCE des acteurs et de CLARTÉ dans l’organisation (qui doit décider quoi).

Redwork et Bluework

On distingue deux sortes de travaux : des travaux d’exécution, même complexes, dans lesquels on cherche à réduire la variabilité et à augmenter l’efficacité. Il sont baptisés redwork et le langage de l’entreprise y est consacré : « On va réussir ! », « Est-on dans le planning ? » et tout le cortège des questions fermées. Le redwork tend à faire de manière parfaite ce qui est demandé, mais pas au delà. L’initiative est malvenue, le stress a un effet – limité – positif.

De l’autre côté, le bluework est plutôt lié à la pensée, à la conception, à l’organisation ou la prise des décisions. C’est un travail dans lequel on se reconnait dans l’incertitude et la vulnérabilité, également où l’on peut s’autoriser à viser mieux et plus loin.

Dans le bluework, on a intérêt à ce que tous participent, sans tabous, à partir de questions ouvertes, du « comment » et du « quoi ». C’est un travail fatigant et exposé, que le stress rend impossible.

Redwork et bluework sont complémentaires, comme pour un nageur en eau libre qui doit garder la tête dans l’eau pour mieux glisser (redwork), mais doit la lever de temps en temps pour vérifier sa direction par rapport aux bouées (bluework). Lever la tête fait perdre du temps mais évite une dérive inutile.

Dans les modèles classiques issus de Taylor, les activités sont séparées entre travailleurs et cadres, entre leaders et suiveurs. Ce que propose l’IBL, c’est d’alterner bluework et redwork, de manière à susciter de l’intelligence collective et à se motiver, une décision étant d’autant mieux suivie qu’on en comprend les raisons et qu’on a le sentiment d’y avoir contribué.

Le mode agile met en oeuvre cette alternance, mais souvent dans nos organisations, cela grince : une équipe investie dans la production (redwork) a du mal à prendre l’initiative de réfléchir à ce qu’elle fait, même si des indices de dérive se produisent car elle craint de perdre son efficacité. Réciproquement, décider de mettre en œuvre une décision expose au risque de s’être trompé, et on souhaite toujours avoir davantage de certitudes… Il revient donc aux leaders de favoriser cette alternance, en adaptant leur langage aux types d’activités, et en facilitant les transitions pour leurs équipes. Et en amont, créer un climat de confiance et de sécurité psychologique.

Une échelle pour évaluer le leadership dans notre organisation

Si le modèle est rapidement compris par le management, ce qui s’est produit à bord du Santa Fe, il faut du temps pour permettre à l’ensemble du personnel de progresser en confiance dans ce chemin. L’autonomie ne se crée pas en un jour, et plusieurs étapes doivent être franchies entre l’exécution pure et simple et la responsabilisation.

Au niveau 1, les exécutants demandent ce qu’ils doivent faire. Leur engagement est limité, de même que leur prise de risque et leur initiative.

Au niveau 2, il s’agit de dire ce qu’on voit. Bien souvent, les analyses post mortem montrent que certaines personnes avaient vu le danger, mais n’ont pu ou pas cru bon de le dire. Peut-être pensaient-elles qu’on ne les écouterait pas et que cela les mettrait en risque personnel. Déjà Sophocle disait de ne pas « tuer le messager » ! On ne parle que si le leader est capable de tout entendre.

Au niveau 3, le collaborateur est invité à dire ce qu’il pense. Quelle que soit la compétence du chef, il ne peut être omniscient et a intérêt à s’appuyer sur ceux qui savent…

Au niveau 4, une partie du contrôle est déjà transférée au collaborateur, qui est invité à proposer une solution, tout bien pesé. A-t-il besoin d’une permission ?

Le niveau 5 est la clef de l’IBL, où connaissant l’intention globale, le collaborateur la traduit à son niveau en action « I intent to … ». La fabrique à leaders est en marche !

Les niveaux supérieurs de l’échelle traduisent une maturité supplémentaire de l’organisation collaborative, qui est en mesure de prendre des décisions selon l’intention donnée. 

Comme dans toute échelle, on grimpe marche par marche, on ne va tout en haut qu’en cas exceptionnel, donner le contrôle ne veut pas dire perdre le contrôle.

Un mode d’emploi du changement

Ce qui frappe dans l’intent based leadership, c’est l’aspect d’école de leadership qu’il propose. L’IBL positionne le changement comme venant d’abord d’en haut, avec un a-priori de confiance envers les collaborateurs pour leur permettre de se responsabiliser. Plusieurs axes sont possibles : par la compétence, par la délégation, par la concertation, par le changement organisationnel, par l’alternance bluework / redwork…

Parmi les nombreuses innovations managériales de ces dernières années, l’IBL met enfin des mots sur deux manières complémentaires de travailler, le redwork et le bluework. Le savoir permet de reconnaître les biais cognitifs et la pression parfois involontaires qui pèsent sur la performance et la motivation. Il ne reste plus qu’à l’expérimenter.

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